Huellas pequeñitas en nieve de julio...

samedi 1 novembre 2008

Un bouton de rose au bout d'une tige brisée

"Cette tige brisée que pour vous j'ai aimée

Je me demande si je ne suis pas en train de me transformer en esthète contemplative. Avec une grosse tendance zen et, en même temps, un soupçon de Ronsard.
Je m'explique. C'est un "mouvement du monde" un peu spécial parce que ce n'est pas un mouvement du corps. Mais ce matin, en prenant mon petit déjeuner, j'ai vu un mouvement. THE mouvement. La perfection du mouvement. Hier (on était lundi), Mme Grémont, la femme de ménage, a apporté un bouquet de roses à maman. Mme Grémont a passé son dimanche chez sa sœur qui a un petit jardin ouvrier à Suresnes, un des derniers, et elle a rapporté un bouquet des premières roses de la saisons : des roses jaunes, d'un beau jaune pâle du type primevère. [...]
J'étais donc en train de prendre mon petit déjeuner et je regardais le bouquet sur le plan de travail de la cuisine. Je crois que je ne pensais à rien. C'est peut-être pour ça, d'ailleurs, que j'ai vu le mouvement ; peut-être que si j'avais été absorbée par autre chose, si la cuisine n'avait pas été silencieuse, si je n'avais pas été seule dans la cuisine, je n'aurais pas été suffisamment attentive. Mais j'étais seule et calme et vide. J'ai donc pu l'accueillir en moi.
Il y a eu un petit bruit, enfin un frémissement de l'air qui a fait "shhhhh" très très très doucement : c'était un bouton de rose avec un petit bout de tige brisée qui tombait sur le plan de travail. Au moment où il l'a touché, ça a fait "peuf", un "peuf" du type ultrason, seulement pour les oreilles des souris ou pour les oreilles humaines quand tout est très très très silencieux. C'était magnifique... Mais qu'est-ce qui était magnifique comme ça ? Je n'en revenais pas : c'était juste un bouton de rose au bout d'une tige brisée qui venait de tomber sur le plan de travail. Alors ?
J'ai compris en m'approchant et en regardant le bouton de rose immobile, qui avait terminé sa chute. C'est un truc qui a à voir avec le temps, pas avec l'espace. Oh bien sûr, c'est toujours joli, un bouton de rose qui vient de tomber gracieusement. C'est si artistique : on en peindrait à gogo ! Mais ce n'est pas ça qui explique THE mouvement. Le mouvement, cette chose qu'on croit spatiale...
Moi, en regardant tomber cette tige et ce bouton, j'ai intuitionné en un millième de seconde l'essence de la Beauté. Oui, moi, une mouflette de douze ans et demi, j'ai eu cette chance inouïe parce que, ce matin, toutes les conditions étaient réunies : esprit vide, maison calme, jolies roses, chute d'un bouton. Et c'est pour ça que j'ai pensé à Ronsard, sans trop comprendre au début : parce que c'est une question de temps et de roses. Parce que ce qui est beau, c'est ce qu'on saisit alors que ça passe. C'est la configuration éphémère des choses au moment où on en voit en même temps la beauté et la mort.
Aïe, aïe, aïe, je me suis dit, est-ce que ça veut dire que c'est comme qu'il faut mener sa vie ? Toujours en équilibre entre la beauté et la mort, le mouvement et sa disparition ?
C'est peut-être ça, être vivant : traquer des instants qui meurent."

In L'Elégance du Hérisson, Muriel Barbery
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1 commentaire:

Anonyme a dit…

c'est splendide,en effet...
peut-être à Kyoto, une autre rencontre avec cette jeune femme...