
J'aime Antigone. Il y a quelques années, j'ai dû, pour un travail scolaire, en écrire la suite (celle d'Anouilh). Antigone vient de mourir. Créon remet sa missive à Ismène.
Ce n'est pas vraiment beau. Mais ce n'est pas un massacre non plus. Si je devais le refaire, ça n'aurait certainement pas été pareil. Pas les mêmes mots... Pas le même Créon. Peut-être moins hésitant. Mais j'avais bien aimé écrire ça. Et j'aime bien le lire. Je n'ai pas mis la fin. Elle était mauvaise. Je n'aime pas les fins. Je ne sais pas finir. C'est mieux comme ça.
Créon est seul sur scène, assis par terre.
CREON – Comment ? Comment ai-je pu céder ? Être aussi lâche... Est-ce possible ? Antigone, petite Antigone, fragile Antigone... Hémon, ô mon fils ; ce dieu géant qui t'enlevait dans ses bras et te sauvait des monstres et des ombres, oui c'était moi, oui... ce fut moi. Dire oui, dire non, décider laisser faire. A quoi bon ? Qu'aurais-je pu faire ? Hémon ? Tu m'entends ? Hémon, mon enfant, j'aurais pu vous sauver, tous... Un silence. Hémon ? Elle était déjà perdue. Elle était déjà ailleurs tu sais. Un silence. Hémon ? Tu sais, aussi puissant que je suis, aussi puissant que j'étais, je n'aurais rien pu faire, sinon retarder l'échéance... Antigone était déjà partie. Antigone était déjà loin, hors de portée. Ne me juge pas Hémon, je t'en prie, ne me juge pas mon petit. Un silence. Créon sursaute. Eurydice ? Ma reine. Ma femme. Une bonne femme parlant toujours de son jardin, de ses confitures, de ses tricots, de ses éternels tricots pour les pauvres... Mais quel imbécile ! Eurydice... Au matin, c'était elle qui venait me pousser, et chaque jour nouveau, elle répandait en moi, une fièvre nouvelle, et des bonheurs futiles. Eurydice ! Des instants de ma vie, tu as été le fil ! Qu'elle était douce et tendre... fragile mais si vive, insouciante et rétive, docile et combative... Eurydice ! Déjà ton souvenir fuit, se détourne de moi... Eurydice ! Je t'appelle en vain... Eurydice ! Eurydice... Se redressant brutalement. Créon ! Moi, Créon ! Moi, roi... Comment ai-je pu les laisser partir ? Les laisser partir un à un... Un lourd et long silence. Il le fallait. J'aurais pu l'éviter ! La raison d'état... La raison d'état. Se relevant. Oui Créon : la raison d'état ! Je devais le faire ! Il n'aurait pu en être autrement. Il devait en être ainsi. Hémon ! Mon petit... mon pauvre petit... Tu l'aimais. Elle était déjà loin la petite Antigone, inaccessible, envolée...
ISMENE, interrompant Créon - Que voulez-vous ? Comment...
CREON, lui coupant la parole – Ah... Ismène, ma petite, ma belle Ismène...
ISMENE – Comment... comment osez-vous ?! Comment osez-vous me regarder encore, me parler comme vous le faites ? Comment pouvez-vous vivre après ce que vous avez fait ? Comment pouvez-vous garder la tête haute et ce regard fier ? Créon... un grand roi. Faites-moi rire ! Un roi ? Non... un père incapable de garder son fils, sa femme, un homme impuissant face à une toute jeune fille sans arme, un homme incapable de lui dire non, de la retenir, de l'empêcher de partir. C'est donc vous ce roi tout puissant ?
CREON – Arrête Ismène, arrête. Je t'ai fait appeler parce que, je pensais que tu aurais voulu lire... lire ce message, le dernier message de ta sœur, ce message qui t'est destiné. Ismène ? Antigone voulait partir, elle devait partir, toutes les interdictions, tous les « non » du monde, les murs les plus hauts, les barrières les plus infranchissables... rien n'aurait pu empêcher ce destin, rien Ismène... rien... Tu crois que c'est facile pour moi de rester impassible, toujours... Tu crois que ce fut facile pour moi de voir partir ces personnes que j'aimais tant ?
ISMENE – Arrêtez ! Arrêtez ! Donnez-moi cette lettre. Vous êtes pathétique. Vous croyez vraiment que c'est vous la victime ? Vous me dégoûtez avec vos grands mots, vos belles phrases. Arrêtez Créon.
CREON, tendant la lettre à Ismène – Prend-la Ismène...
ISMENE, s'emparant de la missive – Oh Antigone, oh Antigone... Ismène déplie lentement, très lentement le message de sa soeur qu'elle tient entre ses mains tremblantes et le lit à voix haute. « Ma très chère Ismène, ma belle Ismène... Ne pleure pas, tu serais moins belle, ne pleure pas. Ismène pleure. J'aime que tu sois belle. Ismène. Ce n'est pas chose facile de partir. Ce n'est pas chose facile de te laisser mais ma décision est prise. Ismène, ô Ismène, tu as toujours été resplendissante, magnifique, majestueuse, tu as toujours été le soleil et j'ai toujours été cette petite olive noire, triste, différente... Mais tu sais Ismène, si je pars aujourd'hui, si aujourd'hui je dis adieu à tout cela, si je te laisse derrière moi, c'est parce que j'ai peur. J'ai peur de l'après, j'ai peur de ce qui va arriver. Si je meurs aujourd'hui, c'est pour garder enfouie en moi la douceur de la fraîche rosée du matin sur mes pieds nus, c'est pour ne pas oublier les larmes impossibles à retenir devant un coucher de soleil, c'est pour m'émerveiller encore devant ces oiseaux qui s'envolent, légers, insouciants... J'ai peur Ismène, j'ai peur que cela change. J'ai peur qu'un jour, Hémon soit différent, que le soleil soit plus fade à mes yeux, que la nature soit autre, que je sois obligée de mentir à mon aimé car je ne l'aimerais plus comme avant. J'ai peur Ismène, j'ai peur de ne plus voir ta beauté rassurante, ton calme, j'ai peur qu'Hémon ne frémisse plus quand je frémis, qu'il n'ait plus peur quand j'ai peur, qu'il ne soit plus heureux quand je souris. J'aime. J'aime Ismène et je veux que tous ces sentiments restent intacts, que le temps ne les ternisse pas. Ce matin, je me suis levée, j'ai marchée dehors, l'herbe caressait mes pieds nus, le soleil peignait la campagne de ses doux rayons, Hémon m'a serrée fort dans ses bras, j'ai admiré une dernière fois ta calme beauté. J'ai été heureuse Ismène et je pars heureuse, heureuse d'avoir connu, d'avoir senti, éprouvé, vu, admiré. N'en veux pas à Créon. Un regard vers Créon. S'il te plaît Ismène. Il n'aurait rien pu faire. Il était impuissant face à cette détermination que j'avais à partir, j'étais plus forte, mais tellement plus faible. Tu sais Ismène, partir parfois c'est tellement plus facile... tellement plus lâche. Je suis lâche Ismène, lâche et égoïste. C'est si dur de rester. Garder la tête haute, rester fier... C'est tellement plus difficile Ismène. N'en veux pas à Créon, c'est lui qui est courageux, il a tout compris depuis le début. Un regard vers Créon. Vouloir enterrer Polynice, vouloir que mon frère, notre frère ait une mort digne n'était peut-être au fond qu'un prétexte. Une solution qui m'était offerte pour enfin trouver ce dont j'avais besoin. La solution, la porte ouverte à mon évasion, à mon envol. La nourrisse entre, sans bruit. Tu disais que je suis folle Ismène. Silence. Tu as raison. Je suis folle d'amour, folle de ce monde qui nous entoure, folle de ce petit garçon que j'aurais tant aimé élever, porter en moi, je suis folle de la vie. Voilà pour toi Ismène, ma soeur à qui j'ai tant reproché sa beauté, à toi, ma soeur que j'ai tant aimé. Ismène, ne sois pas triste, ne pleure pas : je m'en vais le corps léger, étincelant de sensations, de souvenirs, d'instants adorés. Ismène, je n'aurais pas accepté de voir tout cela différemment, de nous voir changer. C'est maintenant l'heure pour moi de partir. Remercie Créon. Embrasse Nounou pour moi. Je t'aime Ismène... Silence. Je t'aime. Prononcé avec une voix presque imperceptible : Antigone »
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