Huellas pequeñitas en nieve de julio...

mardi 12 août 2008

Palomita parisina

"Elle n'a que l'embarras du choix, Saffie. Or elle marche d'un pas égal, ni pressé ni paresseux, regardant devant elle et ne voyant rien. Elle n'attire pas l'attention, n'allume pas le regard des hommes jeunes et moins jeunes attablés à la terrasse de La Palette ; c'est comme si elle était invisible, un fantôme. Pourtant, elle est bien réelle, elle connaît les us et coutumes de l'existence urbaine : elle s'arrête par exemple au feu rouge avant de traverser le boulevard.
Contournant le Sénat, elle pénètre dans le vaste jardin - en ce moment à son acmé d'éclosion, de floraison, de poésie à pétales et à parfums. Les traits neutres, les yeux vitreux, elle passe devant les statues de marbre, les jets d'eau, les petits garçons dirigent leurs petits bateaux dans le plan d'eau, les palmers que l'on vient juste de sortir des serres où ils ont hiverné, les tilleuls et la douceur de leur ombre, les cafés installés dans cette ombre douce, la fontaine de Médicis avec ses intellectuels assis face à face sur deux rangées de chaises payantes en train de lire Jean-Paul Sartre ou de s'embrasser, en y mettant les formes et la langue. Elle ne se glisse pas derrière la fontaine pour contempler, émue, le haut-relief en bronze bleui de Léda, triomphalement violée par le dieu des dieux en forme de cygne.
Elle a déjà vu ça Saffie. Elle a tout vu."

Nancy Huston, L'Empreinte de l'Ange
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